Interview de Florence Gendre, illustratrice

« Je suis née avec un crayon dans la main. »

Interview de Florence Gendre, illustratrice.


Ananas décoratif

 

Hello Florence, merci d’avoir accepté notre invitation pour ce deuxième “Fanatalk“, une conversation entre passionnés de la nature.

Vous êtes illustratrice professionnelle et la qualité de vos œuvres nous touche beaucoup, tout particulièrement vos planches naturalistes. Une grande maîtrise du dessin classique s’y marie avec une palette de couleurs evanescentes de toute beauté. On est vraiment fans et ravis de découvrir l’artiste derrière les pinceaux…

Fan. Pour commencer, question inévitable : comment avez-vous vécu le confinement ?

F.G. Très bien car je suis confinée de nature ! Je travaille chez moi et je fais quasiment tout à distance. De fait, je reçois les briefs par mail et j’envoie mes fichiers en retour aux imprimeurs et à mes clients. Au fond, le déconfinement a été plus dur que le confinement.

Fan. Comment êtes-vous devenue illustratrice ?

F.G. Je suis née avec un crayon dans la main. Depuis toute petite je passe mon temps à dessiner, à l’âge de trois ans je faisais déjà des bêtes avec des poils et je viens d’une famille où tout le monde dessine. Ma grand-mère a fait les Beaux-Arts en 1920, mon arrière grand-père fabriquait des maquettes de jouets, mon arrière grand-mère faisait de très belles aquarelles, et toutes les pièces rapportées de la famille dessinaient aussi, donc je baignais dedans et la suite est assez logique. Pour tous mes Noëls et anniversaires, je recevais soit des boîtes de crayons de couleurs, soit des livres sur les insectes.

Fan. L’amour des insectes c’est quand même pas banal chez une enfant…

F.G. À vrai dire, j’ai toujours été passionnée par les insectes, les reptiles et les batraciens. J’en ai d’ailleurs eu plein ma chambre, je faisais des élevages de doryphores, de coccinelles, de lézards… Mon oncle et ma tante avaient une maison dans la Dombes et j’ai passé des heures dans les étangs du coin à découvrir tout ce qui y vivait. J’aime bien aussi les poissons, tout particulièrement les poissons exotiques et ceux des grands fonds.

Fan. Pourquoi cette tendresse particulière pour ces espèces ?

F.G. Je ne suis plus très fan des animaux à poils, je n’aime pas les chiens et j’ai horreur des chats ! Les autres animaux ne m’intéressent pas – les oiseaux pas plus que ça – mais je deviens dingue si je m’approche d’une mare et que j’aperçois des grenouilles ou des tritons ! Ils me font vraiment vibrer. Si j’en trouve un je lui cours après, ça m’a même attiré des ennuis… Un jour je poursuivais un lézard, je n’ai pas fait attention, lorsqu’il est entré dans un nid de frelons, j’y ai mis ma main et j’ai fini à l’hôpital. Voilà pour la petite anecdote mais je n’ai pas été vaccinée pour autant, j’aime toujours autant les insectes, c’est une passion qui m’anime depuis toute petite.

Fan. Et la nature en général ?

F.G. Pour en revenir à la nature et à mes sources d’inspiration, ma grand-mère était abonnée à “Connaissance des Arts” depuis les tous premiers numéros et à des magazines dédiés à un seul artiste comme Pierre Joseph Redouté. On a donc beaucoup étudié ça ensemble ainsi que toute la peinture hollandaise du XVIIème siècle avec la transparence des verres, les crustacés qui pendaient, les petits citrons… Ça a été mon fil conducteur, enfant. Ma grand-mère m’emmenait aussi au parc de la Tête d’Or à Lyon, elle connaissait tous les jardiniers et on allait chercher des escargots dans la serre tropicale pour nettoyer les parois de son

Coquillages, crustacés et étoiles de mer / Aquarelle sur papier

Fan. Vous étiez une enfant solitaire ?

F.G. Oui assez. J’avais quand même mes deux sœurs et une famille très présente mais je passais mon temps à observer puis à dessiner des planches et j’ai toujours pris des cours de dessin. Ma vie s’est construite autour du dessin. Adolescente, j’avais acheté des bracelets en bois, je les peignais avec des fleurs et je les vendais au marché de la création à Lyon. Mon père m’avait fabriqué une petite machine pour faire tourner le bracelet que je peignais au fur et à mesure. 

Puis j’ai passé un bac dessin et quand je l’ai eu, mon père m’a dit : “tiens, je t’ai inscrite à Paris dans une école de dessin. Je n’y crois pas trop parce que je ne vois pas comment tu vas gagner ta vie avec ça.” Et je me suis retrouvée en prépa à Penninghen. J’habitais dans une chambre de bonne sur l’île Saint-Louis, je ne me rendais absolument pas compte de ma chance car je ne connaissais pas bien Paris. Puis j’ai passé les concours et j’ai intégré les Arts-Déco. En sortant j’ai démarré dans la publicité.

Fan. Dans cette carrière, comment avez vous réussi à suivre votre voie naturaliste ?

F.G. Aux Arts-Déco, il n’y avait aucune optique commerciale, on avait même pas de book. Du coup j’ai pris deux mois pour me le constituer moi-même en sortant : j’avais fait plusieurs planches naturalistes représentant des fraises ou des fritilaires avec des crayons de couleurs, des pastels sur des fonds à l’acrylique travaillés à la brosse à dent. J’avais plein d’autres dessins adaptés à la pub, mais j’ai toujours eu ce penchant naturaliste et mon premier client a été le magazine Système D. J’ai fait toutes leurs illustrations de jardinage pendant dix ans, tous les petits gestes, pas toujours du dessin très artistique mais il fallait bien vivre. 

Puis je me suis un peu éloignée, j’ai dessiné des moteurs de voiture, des bijoux, de l’architecture, essentiellement dans le luxe. Tout cela me passionne. Mon père avait une collection d’automates et les réparait, il y avait donc énormément d’outils à la maison. On l’aidait souvent et je m’intéressais la mécanique. J’avais donc plusieurs pôles d’intérêt et si je fais beaucoup de choses très différentes, elles viennent toutes de ce que j’avais en moi ou de ma famille. Il n’y a pas de hasard. La mécanique a toujours été très présente dans ma vie, l’architecture aussi car quand on aime l’art, on aime aussi l’architecture. Finalement, quand je regarde mon travail aujourd’hui, c’est une prolongation de beaucoup de choses qui se tiennent.

Fondation Cartier

Fan. Le naturalisme a cependant pris le dessus d’après ce qu’on peut voir de vos travaux les plus récents ? 

F.G. Il y a six ans j’ai travaillé pour Yves Rocher. J’ai réalisé des illustrations pour une petite vidéo d’une plante qui grimpe et devient d’autres fleurs. Je n’arrivais pas bien à faire les feuilles, les verts n’étaient pas bons, ça ne me plaisait pas. Je suis donc allée voir des tutoriels et la plupart étaient réalisés par Agathe Haevermans, illustratrice scientifique qui enseigne au Muséum d’Histoire naturelle. J’ai fini par la rencontrer et suivre ses cours. Je renouais avec ma passion première : l’observation des plantes, de la nature et je me suis sentie revivre ! Ça m’a permis de faire de nombreux stages : à Lyon, en Italie, dans les Pyrénées, en Amazonie, et j’ai rencontré des professeurs dans tous ces coins du monde. Je ne parle pas anglais mais le dessin est universel et on se comprend toujours.

Je me suis donc perfectionnée dans ce domaine, par passion au début, puis j’ai commencé à publier sur Instagram et j’ai vu que cela avait un succès de dingue ! Mes clients ont découvert ce registre et ont commencé à me demander ce type d’illustrations. Et c’est vrai que c’est arrivé au bon moment : l’avènement du bio, des produits naturels, il y avait une forte demande dans le packaging notamment pour les marques de cosmétiques ou pharmaceutiques qui se basent évidemment sur les plantes… Ça a pris un essor incroyable sans réelle volonté de ma part.

Fan. Et ça n’est pas prêt de s’arrêter, vous êtes sur un bon créneau ! Sans transition, qui sont les artistes qui vous inspirent le plus et qui ont eu une influence sur votre style ?

F.G. Il y a un peintre qui a été une vraie révélation pour moi : Vladimir Veličković qui vient de décéder et qui dessinait des hommes en mouvement à partir de photos de Muybridge, avec des flèches, des annotations manuscrites. Ça rejoint le principe des planches botaniques où figure toujours une légende, une description.

Quand je dessinais des objets, je suivais le même principe : je les représentais de face, de trois-quart, avec des petits croquis à côté et des annotations en plus. Ça a beaucoup plu dans la pub car cela figurait l’objet créé sous tous ses angles, comme des croquis originaux.

Domenico Gnoli aussi, un italien, peignait en énorme des boutons, des détails de cravate… Cela me plaît vraiment. Je me suis beaucoup inspirée de ces artistes.

Fan. Vous vous nourrissez aussi en voyageant…

F.G. C’est encore une histoire de famille. Mon arrière grand-mère avait voyagé en Egypte en 1898. Elle a tenu un journal que nous avons tous lu, relié par ma mère. Elle et ma grand-mère étaient relieuses toutes les deux, encore un métier manuel ! Au début de sa carrière mon père, lui, était alpiniste. Ma mère l’accompagnait en montagne et dans de nombreux voyages alors que cela ne se faisait pas du tout à l’époque. Ils sont allés au Pérou voir le Machu Pichu, puis en Amazonie, ils m’avaient rapporté des plumes de perroquets et des coquillages. Cela m’a donné une envie de voyager extraordinaire ! 

Il y a dix ans j’ai rencontré une amie avec qui je voyage à la découverte de la nature. Comme j’aime, sac au dos, dans des petits hôtels ou chez l’habitant un peu partout sur la planète. Je suis retournée en Amazonie et au Machu Pichu. Le voyage fait partie de ma vie et tient une place essentielle dans mon travail en me permettant de découvrir la nature incroyable de chaque pays, en particulier en Asie ou en Amérique du sud.

Cactus Cereus peruvianus « spiralis » -Tillandsia Xerographica -Prêle Equisetum hyemale / Aquarelle sur papier

Fan. Parlons justement du Brésil…

F.G. C’était une super expérience ! Dans mes cours de dessin j’ai rencontré Yvonne, moitié Brésilienne, moitié des pays de l’Est. Grâce à elle je suis partie en bateau sur les traces de la botaniste britannique Margaret Mee. Gilberto, le capitaine du bateau, a travaillé avec elle et connait extrêmement bien la nature.

Les fleurs de Margaret Mee sont magnifiques ! Elle a fait quarante expéditions dans cette région et y a vécu toute la fin de sa vie. Il y a des photos où on la voit dessiner à quatre pattes par terre ou assise sur un tronc d’arbre et ses dessins sont de grands formats extraordinaires. Si vous faites un saut à Londres, je vous conseille d’aller les voir à la galerie Shirley Sherwood, le temple des artistes botanistes dans le monde.

Au fil de notre voyage, on a pu voir des paresseux, des oiseaux en tout genre, des dauphins roses… Tous les matins on sortait du bateau pour aller chercher des plantes et l’après-midi on avait cours de dessin avec Dulce Nascimento, artiste botaniste très connue au Brésil. Le rêve ! Pendant dix jours j’alliais tout ce qui me passionne : le dessin, l’observation, la nature et l’exotisme du voyage.

Passiflora Caerulea / Aquarelle sur papier

Fan. Le récit complet de ce très beau périple se trouve sur votre blog. Il nous a donné envie d’en savoir plus sur Margaret Mee à qui nous consacrerons un prochain article. Merci Florence pour la richesse de cet échange. Nous continuerons à suivre votre travail d’ambassadrice de la nature via vos publications. Bon vent et à très vite !


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