Voyageurs naturalistes, les premiers ambassadeurs.
Voyageur naturaliste, quel beau métier !
Rien que le nom fait rêver…
À l’époque où nous ne connaissions que nos vaches, nos prés, nos bois et nos gibiers, des hommes partaient au bout du monde pour étudier la biodiversité.
L’Homme s’est toujours penché sur son environnement. L’étude de la flore, plus facile à observer que la faune, a très vite attiré dans toutes les civilisations des botanistes éclairés constituant des jardins de plantes médicinales, aromatiques et des herbiers remarquables. Mais c’est le siècle des lumières qui donnera ses premières lettres de noblesse aux sciences naturelles. Dans La lignée de Diderot et d’Alembert avec leur encyclopédie du savoir, Buffon, Jussieu, Réaumur, Linné, Lamarck et bien d’autres poseront les premières pierres du recensement et de la classification des espèces.
En 1793, le Jardin du Roi fondé par Louis XIII devient officiellement le Muséum national d’Histoire naturelle. On y enseigne, entre autres, la manière de recueillir, de conserver et d’expédier des objets d’histoire naturelle. Le métier de voyageur naturaliste est né. Tout au long du XIXème siècle, des aventuriers d’un genre nouveau seront enrôlés dans de grandes expéditions scientifiques financées par l’institution. Ceux qui y survivront connaîtrons des destins extraordinaires.
Fanatura se passionne pour ces premiers ambassadeurs de la nature à travers leurs œuvres et les récits de leurs voyages. Nous vous les présenterons régulièrement sur ce blog, à commencer par le plus fascinant d’entre eux : Alcide Dessalines d’Orbigny.
Alcide a 23 ans lorsque le 31 juillet 1826, il embarque à bord de La Meuse, corvette de la Marine Française qui l’emmènera de Brest à Rio de Janeiro. Il quitte ses proches sans avoir l’assurance de les retrouver mais sa soif d’apprendre et la responsabilité de sa mission l’emportent. Élève brillant, il reçoit les conseils avisés de ses maîtres : Cuvier, Geoffroy-Saint-Hilaire, Blainville, Humboldt,… tous les pontes de l’époque.
Après deux mois de traversée, Alcide d’Orbigny foule enfin le sol de l’Amérique du Sud récemment libérée du joug de ses colons ibériques. Commence alors un fabuleux périple de presque huit années au cours duquel il sillonnera le Brésil, l’Uruguay, l’Argentine, le Chili, le Pérou et la Bolivie.
Sa spécialité c’est la paléontologie, il y consacrera sa vie.
Question fossiles, il va être servi mais, pour le muséum, il doit avoir des yeux partout. Botaniste, zoologiste, ornithologiste, entomologiste mais aussi anthropologiste, il n’a de cesse de chasser, de prélever, d’observer, de décrire, de répertorier et de dessiner toutes les espèces qu’il découvre. C’est un stakhanoviste, il ne s’arrête jamais. Il se découvre une passion toute particulière pour les palmiers et sa contribution sur ce sujet se révélera essentielle.
Au cours de sa vie, Alcide d’Orbigny a décrit plus de 3 000 espèces dont 2 500 nouvelles. Sa collection paléontologique, déposée au Muséum national d’Histoire naturelle, est évaluée à 14 000 espèces pour un total de 100 000 spécimens*.
La vie est rude pour le voyageur naturaliste. Lors de ses expéditions dans les terres, il s’enfonce parfois si profondément dans la jungle tropicale que la fièvre menace de l’emporter à plusieurs reprises. L’instabilité politique des états naissants le plonge au cœur de quelques guérillas ethniques. Les liaisons maritimes sont périlleuses et les navires pas toujours en bon état. Mais Alcide est déterminé et il a une bonne étoile. Il affiche une telle passion dans son travail que, partout où il passe, il impose son charisme et sa bienveillance. Bon latiniste, il maîtrise rapidement l’espagnol et le portugais. Il apprend aussi le guarani au contact des Indiens avec lesquels il passera près d’une année. À la fin de son voyage, il parle tous les dialectes des tribus qu’il a côtoyées.
« El Naturalista », comme ils le surnomment, s’est fait une réputation.
Il est partout le bienvenu.
En marge de sa mission, il aide les agriculteurs à diversifier leur production, a réorganiser les terres, à préserver les espèces surexploitées. Il a depuis longtemps compris qu’une agriculture variée et raisonnée a plus d’avenir qu’une mono-culture intensive. Nous sommes en 1830…
De retour en France après sept ans et sept mois, Alcide est accueilli en héros par ses proches et ses confrères. Partout on brûle d’écouter ses récits. L’ampleur de ses collections, la précision de ses notes, la richesse de ses dessins et la qualité de ses croquis émerveillent les savants du muséum. Il est couvert d’éloges et nommé Chevalier de l’Ordre Royal de la Légion d’Honneur. Il n’a que 32 ans. Il se met immédiatement à la rédaction de son voyage en Amérique. Elle lui prendra quatorze ans.
En 1839 paraît « L’Homme américain » qui connait tout de suite un immense succès. Il s’agit d’une étude ethnologique, sociologique, linguistique et statistique sur les divers peuples indiens rencontrés. Il introduit l’ouvrage par cette phrase : « Nous commencerons par déclarer que notre conviction intime est que, parmi les hommes, il n’y a qu’une seule et même espèce ».
Il s’installe à Paris avec son frère cadet, Charles-Henry d’Orbigny, brillant médecin passionné de géologie, qui se consacre désormais aux sciences naturelles. Ils emménagent du côté de la Contrescarpe, à quelques enjambées du muséum. Tandis qu’Alcide y poursuit son étude paléontologique à partir de fossiles qui lui arrivent de toute l’Europe, son frère se lance dans l’œuvre de sa vie : « le Dictionnaire universel d’histoire naturelle ». C’est l’une des réalisations majeures de l’époque en matière de synthèse scientifique, mais aussi de vulgarisation de qualité. Une première édition paraît en 1849 : 13 volumes + 288 planches d’une qualité jamais égalée au XIXème siècle.
La photographie est encore à l’épreuve et les illustrateurs ont la cote. Les dessins d’Alcide et de ses confrères y figurent, sublimés par des artistes tombés dans l’oubli. Les oiseaux d’Edouard Traviès, les batraciens de Jean-Gabriel Prêtre, les poissons d’Achille Valenciennes, de Charles Plumier ou de Jacques Christophe Werner… quels talents !
À l’époque où nous ne connaissions que nos vaches, nos prés, nos bois et nos gibiers, les frères d’Orbigny ont révélé au monde les merveilles de la nature. Rendons leur hommage, partageons cet enthousiasme.
À l’occasion de la journée mondiale de la biodiversité qui aura lieu vendredi prochain, le 22 mai, nous vous invitons à choisir une planche naturaliste qui vous plaît et à nous la poster en commentaire de cet article. On les trouve numérisées facilement mais si vous êtes en panne d’inspiration, n’hésitez-pas à parcourir notre compte Pinterest, nous l’alimentons régulièrement.
Surprenez-nous !
* source Wikipédia.
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Pour aller plus loin (bibliographie) :
Brygoo, Raoul. Alcide d’Orbigny (1802-1857). Paris : Muséum national d’Histoire naturelle, 1995. Document non publié.
Fischer, Paul. « Notice sur la vie et les travaux d’Alcide d’Orbigny ». Bulletin de la Société géologique de France. 1878, vol. 6, pp. 434-453.
Gioda, Alain & Roux, Jean-Claude. « Alcide d’Orbigny, voyageur ». Pour la Science. 2002, n° 296, pp. 68-74.
Laurent, Goulven. « Orbigny, Alcide d’, 1802-1857 » in Tort, Patrick, dir. Dictionnaire du Darwinisme et de l’Évolution. Paris : PUF, 1996. Vol. 3.
Legré-Zaidline, Françoise. Voyage en Alcidie. Paris : Boubée, 1977.
Legré-Zaidline, Françoise. Alcide Dessalines d’Orbigny (1802-1857). Paris : l’Harmattan, 2002.
Taquet, Philippe, dir. Alcide d’Orbigny. Paris : Muséum national d’histoire naturelle & Nathan, 2002.