Interview de Laurier Street, artiste de rue.
« Les animaux prennent leurs quartiers en ville. »
Interview de Laurier Street, artiste de rue.
Hello Laurier, merci d’avoir accepté notre invitation pour ce troisième Fanatalk, une conversation entre passionnés de la nature.
Vous êtes artiste de rue, on est tombés sous le charme de vos collages animaliers figuratifs, tout du moins dans leur forme. Ça change des graphes d’animaux fantastiques ou hyper-réalistes qu’on croise la plupart du temps…
L.S. Oui, j’ajoute ma touche personnelle en les habillant d’arabesques. L’homme a vraiment beaucoup pris la place des animaux dans la nature ces dernières années et ma démarche consiste à les ramener autrement dans l’environnement urbain. D’où l’accroche : “les animaux prennent leurs quartiers en ville”.
Fan. Comment vous est venue l’idée ?
L.S. Je dessine depuis des années : je passe mon temps à griffonner des arabesques dans mes cahiers. J’adore dessiner mais je n’avais jamais pensé sortir ça de mes pochettes. L’année dernière j’ai fait une visite orientée Street Art à Lisbonne avec une guide spécialisée. J’ai été frappée par la manière dont elle présentait les œuvres de rue et j’ai découvert la technique du collage, c’est à dire le fait de prendre un dessin découpé et d’aller le coller dans la rue.
En termes d’art de rue je connaissais plutôt le graffiti. J’ai trouvé le collage très intéressant car assez proche de ce que je faisais. J’ai aussi découvert qu’il y avait pas mal de filles qui utilisaient cette technique, que ce n’était pas forcément un domaine réservé aux hommes. Je me suis dit pourquoi pas moi, j’ai commencé par un petit dessin de poulpe dont j’aimais bien le mouvement.
Poulpes – Encre sur papier
Fan. C’est grâce à lui qu’on vous a découverte dans le quartier Oberkampf à Paris. Pas banal pour la capitale… Vous nous l’amenez du sud, n’est-ce pas ?
L.S. Oui ! Étant marseillaise j’ai un faible pour les animaux marins, surtout ceux de la Méditerranée. J’ai donc collé un premier dessin et j’ai trouvé ça drôle, ça m’a plu. Le fait de sortir de chez moi plutôt que de rester seule devant ma feuille de dessin, de les coller dans les quartiers Street Art de Marseille, m’a permis de rencontrer des gens et je me suis essayée à des formats un peu plus grands. Ça a démarré comme ça.
Fan. Qu’est-ce qui a changé pour vous depuis que vous avez commencé à peupler les rues de vos œuvres ?
L.S. À la fin de l’été 2019 j’ai collé mon premier animal. Les animaux sont assez rafraîchissants à dessiner et parlent à tous dans la rue, aux enfants comme aux adultes… Ça leur donne le sourire de croiser un petit poisson en partant travailler le matin !
Je crois que c’est ma nouvelle passion, c’est très complet, et ça déclenche plein de rencontres. Au début j’avais un peu peur de coller à visage découvert en pleine journée donc je me cachais sous ma capuche, je collais le soir ; et puis je me suis rendue compte que quand je collais spontanément, le dimanche après-midi par exemple, les gens venaient me parler, me posaient des questions… Du coup j’ai fait évoluer mes collages : j’ai parlé des plus grands formats mais j’apporte aussi de la couleur, ce qui rend les animaux encore plus vivants. J’ai ainsi commencé à avoir des articles dans la presse marseillaise, dans le guide du Street Art, c’est vraiment sympa.
Fan. Comment avez-vous vécu le confinement ?
L.S. J’en ai profité pour préparer plus de dessins, que j’avais bien-sûr hâte d’aller coller ! Mais cela m’a surtout permis de me poser et de faire des recherches comme apporter une couche d’aquarelle sur mes dessins ou noter toutes mes idées pour la suite. Au moment du déconfinement j’étais tout à fait prête à sortir tout ce travail dans la rue.
Fan. À propos d’aquarelle, êtes-vous totalement autodidacte sur vos techniques ou avez-vous pris des cours de dessin ?
L.S. Je suis complètement autodidacte oui, je n’ai jamais pris de cours et ces techniques de spirales sortent tout droit de mon imagination, voire de mon inconscient. Je suis dans une sorte de semi-hypnose quand je dessine, c’est même assez relaxant. Pour l’aquarelle j’ai fait mes propres tests, avec des rendus parfois surprenants ! Par ailleurs j’ai fait des études d’urbanisme, et j’ai toujours aimé la ville. C’est ce qui m’a poussée à sortir et à représenter la ville d’une autre manière grâce à mes animaux.
Fan. À l’instar de votre fleur qui nous plaît beaucoup, vous associez souvent une citation en légende des photos de vos collages publiées sur votre compte Instagram. Pourquoi ne pas les afficher sur les murs systématiquement comme les messages de Miss.Tic par exemple ?
L.S. Ma démarche est différente : je suis fan de rap français, qui a quelque chose de très littéraire. Toutes les légendes de mes dessins viennent de ces rappeurs, que j’admire et que je cite toujours, et me permettent d’allier mes deux passions. Quant à cette fleur, c’est un projet particulier : j’ai une amie canadienne qui écrit des poèmes et comme on apprécie mutuellement notre travail, on a décidé de faire une mini collaboration associant les mots et les images pour apporter une autre lecture au dessin.
Fan. Dans le choix de ces citations, on sent chez vous un grand besoin de liberté, de sortir du cadre…
L.S. Oui j’ai sûrement ce besoin et c’est vrai que l’art de rue consiste à transgresser les règles : l’affichage sauvage en l’occurence est semi-illégal. Mais je n’ai pas du tout envie de nuire à qui que ce soit, j’ai juste envie de m’imposer dans la rue. Moi qui ai été tellement introvertie je ressens une grande force à sortir mes dessins en toute liberté. Les animaux sont aussi un symbole de la liberté de se déplacer, de nager, d’aller où ça leur chante alors que nous sommes plus contraints en tant qu’humains, bloqués dans notre société. Il y a aussi le besoin d’espace, de découvrir ma ville différemment et d’autres villes où je ne serais jamais allée. Le monde s’ouvre à moi et je suis très motivée pour aller coller mes dessins partout où j’ai envie !
Fan. Avez-vous rencontré des problèmes avec les autorités ?
L.S. Certains dessins ont été repeints par la brigade anti-tag, c’est logique. Mais récemment, dans le cadre pourtant officiel du festival de Street Art de Grenoble, j’étais en train de coller un hippocampe sur un mur avec une grenobloise membre de l’organisation du festival quand une femme nous a jeté plusieurs seaux d’eau du quatrième étage !
Mais par rapport aux autorités, je choisis des endroits où cela gêne le moins possible : j’évite les façades neuves, certaines pierres… Je ne cherche que le côté positif du Street Art et je respecte la ville.
Fan. C’est une démarche intelligente, comme l’artiste Invader mondialement connu qui a imposé avec discrétion ses mosaïques partout dans les grandes villes…
L.S. Ce qui se passe dans le monde du Street Art est intéressant. Mon support est moins permanent que des mosaïques ou de la peinture même si certains collages résistent aux intempéries depuis plus d’un an. Dans le quartier du Panier à Marseille par exemple, le Street Art est toléré et les œuvres perdurent. Mais le côté éphémère a aussi son charme, c’est dans la nature même du Street Art.
Fan. Revenons sur la fleur, connaissez-vous le programme participatif « sauvages de ma rue », qui propose aux gens de prendre en photo les plantes qui poussent naturellement en bas de chez eux pour les répertorier ? Cela nous fait penser à votre slogan : « les animaux prennent leurs quartiers en ville ».
L.S. Cette fleur est la seule à date mais j’ai vraiment le projet d’explorer le végétal. Cet univers offre des possibilités énormes et mon pseudo c’est Laurier donc forcément j’y réfléchis… Pourquoi pas des plantes grimpantes, des plantes méditerranéennes pour rester dans le local… pour les couleurs aussi. Je suis sûre qu’il y a des jolies choses à faire. Cela pourrait être intéressant en effet de faire une continuité entre ces plantes sauvages qui poussent en milieu urbain et des dessins sur les murs.
Fan. Votre projet nous a touché car il rejoint celui de Fanatura, dans le sens d’un engagement sincère pour la nature, optimiste et respectueux, un peu mystérieux voire magnétique, mais surtout sans agressivité ni virulence.
L.S. Oui, il s’agit plutôt d’interpeller, de susciter la curiosité avant de faire adhérer au projet complet. Le Street Art est sous nos yeux tous les jours. Soit on passe devant sans le voir, soit on le regarde sans forcément bien l’interpréter. Moi ça me fait plaisir quand les gens me disent que ça les touche, qu’ils n’ont jamais vu quelque chose d’aussi joli dans la rue et que grâce à mes dessins ils ont changé d’avis sur le graffiti et l’art de rue.
Fan. Est-ce une question de génération selon vous ?
L.S. Je dirais que c’est intergénérationnel au contraire. Un jour que j’étais en train de coller, un couple est venu me raconter que leurs deux enfants avaient du mal à aller à l’école, mais que depuis que je collais mes dessins ils se levaient volontiers pour aller les voir tous les matins et vérifier s’il y en avait de nouveaux. Ça leur a changé la vie de voir un lion ou un poisson sur le chemin de l’école ! C’est un projet très émotionnel et ce genre de retour fait vraiment plaisir.
Série de collages – Encre sur papier
J’ai aussi emmené ma grand-mère coller avec moi dans son quartier. Ainsi elle passe tous les jours devant l’oiseau qu’elle a collé en allant à la boulangerie, en parle à ses voisines…. Les animaux rassemblent car ils parlent à toutes les générations justement. C’est un projet ouvert, peut-être pas « écolo » au premier abord mais il y a plusieurs lectures possibles, et si cela donne juste le sourire aux enfants, aux parents ou aux personnes âgées qui les croisent c’est déjà très valorisant.
Fan. Et que vous inspirent les illustrations des naturalistes anciens ?
L.S. J’aime bien faire des recherches sur les sujets que je dessine, que ce soit des recherches graphiques ou ne serait-ce que la page Wikipédia de l’animal. J’étais donc naturellement tombée sur ces illustrations, au trait très net, très lisible, et cela m’a beaucoup aidée à comprendre la forme des animaux. Je me nourris de différentes sources pour créer mon propre dessin, mais ces planches ont vraiment beaucoup de charme, elles sont intéressantes graphiquement et historiquement. C’est très inspirant.
Fan. Les représentations de la nature ne cessent de se multiplier et de se renouveler. Chez Fanatura, on adore ça ! Merci beaucoup Laurier d’avoir accepté ce Fanatalk, c’était une belle conversation entre passionnés de la nature. Nous ne manquerons pas de guetter les murs de nos villes et vos publications en espérant nous y faire surprendre par vos arabesques bienveillantes.
Si vous êtes curieux d’apprendre à mieux connaître Laurier Street, voici les liens qui vous mèneront vers ses trésors ▾
À lire :
‣ La Marseillaise
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